Un vertige puis le silence - Le Berger

Dans les tréfonds d'Ionia, un être de magie, un quart Vestaya d'une race presque éteinte, sort froidement des entrailles de sa mère. Celle-ci, n'ayant le sang magique de son époux, ne survit à l'accouchement. En réalité, jamais elle n'accoucha,  Arēn  absorba tant d'énergie qu'il la vida, on lui ouvrit le ventre pour tenter de sauver la progéniture.

 Arēn ne semblait rarement totalement heureux ni totalement triste. N'arrivant à saisir les arcanes de sa nature, l'Ordre estimait que cet équilibre abscons correspondait à leur philosophie, le jeune Aren ne parvenant ni à rire ni à pleurer. Un beau jour, un de ses compères lui renversa de l'eau chaude, pour le thé. Une brume scintillante se dégagea de l'épiderme d'Arēn, une réaction contre nature pour cette créature à sang froid. Il hurla de douleur et ne le remarqua pas, contrairement à l'un des maîtres autour de lui. On commença alors à l’entraîner à créer cette Brume.

Des yeux aussi sombre que la nuit, un corps félin, une souplesse n'ayant d'égal que son sourire dévastateur, il se dégageait de lui une terrible chaleur. Une chaleur ronronnante, ronflante, rayonnante.  Arēn ne pouvait qu'être attiré, et il l'avait été depuis son arrivée. Frères qu'ils se disaient, frères qu'ils se prétendaient, à se lover l'un contre l'autre ; squame froide contre cœur crépitant. Rholys possédait un esprit et un cœur brûlant, bouillonant, vif, trop vif. A coté de son frère, ce tempérament effervescent se calmait, s'apaisait, comme happé par le garçon-reptile. Ils s'aimèrent. 

Puisque les Sentinelles et la Brume semblaient liés, l'Ordre décida d'arrêter l’entraînement  d'Arēn. Il fallait l'envoyer auprès de ces dernières ;  Arēn cependant, peu enclin à vivre dans le combat et honteux de sa magie inutile et incontrôlée, presque une farce, refusa de se présenter aux gardiens de la Lumière, invectivant qu'il serait une perte de temps pour eux, comme il l'avait été pour l'Ordre.
Il n'y avait qu'une seule chose de sûre,  Arēn voulait vivre en harmonie avec la nature, de manière pacifique et plus ou moins solitaire.

Les rires de Rholys résonnait dans les murs de l'ordre ; à chaque corridor, dans chaque jardin, derrière chaque arbre,  Arēn espérait croiser sa silhouette ou entendre son sourire. Il ne pouvait continuer à rester ici, à vivre ici, cependant  Arēn n'arrivait à se résoudre à quitter les Kinkou. Chacun son équilibre, une balance entre deux désespoirs. Il partit rejoindre ceux qui nourrissaient les guerriers, les érudits et les mentors. Il avait toujours été amoureux de la nature, il devait juste l'apprivoiser différemment.

Il existait une vieille légende ionienne, que l'on pouvait retranscrire presque mots pour mots en frejlordien. A Shurima, des conteurs narrait un mythe similaire. Une histoire pastorale, sentant bon l'herbe et la laine, la sueur et le bouc, le miel et la poussière.
Depuis des temps immémoriaux, les bergers gardent les troupeaux ; ils protègent et guident leurs animaux, qu'importe le lieu, le temps, les conditions. La métaphore veut qu'il s'agisse de moutons dans les histoires, mais les bergers, les Grands Bergers protègent et guident toute créature de Runaterra s'ils s'en montrent digne. Ils doivent avoir une âme aussi cornée que leurs pieds, qui aura marché longtemps en discutant, en parlant, pour connaître le monde et ses habitants, leurs besoins et leurs histoires.
Il s'agissait d'un rituel spirituel pour les bergers ioniens. Peu le firent.
Réunir un troupeau éclectique et parcourir les mondes, chacune des terres, chacune des régions, et revenir, sans doute. Mais sain, sans perte. En nourrissant le troupeau de chaque spécialité des paysages visités, de chaque essence. Dès lors, le Berger serait complet.

Phare dans la nuit, il devait dès lors demeurer seul, sans assistance.
Aren débuta ainsi son périple, embarquant pour Bilgewater.

L'appel était trop grand. Il voulait retourner voir une Nuit de l'horreur. Il le devait.
Mieux préparé, prêt à comprendre les appels entendus l'an d'avant, Aren attendit. Longtemps.
La nuit ne vint pas. Seul, un manque.

Le monde se couvrait de Brume et cela tétanisait le Berger. Il voulait s'y plonger corps et âme autant que la fuir tant sa réaction épidermique le tourmentait. Alors il se jura une dernière tentative, juste y goûter afin peut-être de comprendre. Puis fuir, se recentrer et rebâtir un troupeau. Le besoin d'y aller, de savoir qu'il ne s'agissait pas d'un rêve, d'une hallucination ou d'un mirage mais belle et bien une réaction physique à la Brume, ce besoin le torturait à petit feu.
Alors il se prépara, convoqua un équipage afin de se rendre sur les côtes du Frejlord et goûter à la Brume. Nul besoin de pénétrer les terres sauvages et stériles, la malédiction couvrait les flots déjà. Ils embarquèrent, prêt à y laisser la vie ou la raison, mais l'amitié ou les dettes liées à Aren permettait d'assurer le voyage, et l'appât du gain à l'idée de quelques rares poissons péchés suffisait à confirmer la destination.
Au large des zones septentrionales, déjà, la Brume envahissait le navire. Aussitôt le Berger se sentit happé, absorbé par le cri des spectres et les souvenirs aigre-doux des morts. Sa magie hurlait aussi en lui. On dut l'attacher afin de l'empecher de sauter à l'eau et rejoindre la Brume alors que l'esquif faisait volte-face.

La diaspora ionienne préférait vivre à Piltover ; le côté reptilien d'Aren et son besoin d'aider autrui se sentaient mieux à Zaun, étrangement. Il avait trouvé un endroit où la nature reprenait ses droits, bien qu'altérée par la présence chimique. Un havre de paix, un repère dans les ténèbres pour les orphelins et les aïeux abandonnés par les leurs. Les gens venaient jouer avec les animaux, acheter des fromages et des peaux, ou simplement parler au berger, si peu loquace mais si attentif.
Aussi, il se rendait régulièrement dans la ville de lumière. Dans le monastère nouvellement construit, des anciennes connaissances  d'Arēn vivaient ; des mentors comme des frères, tous survivants et traumatisés. L'un des érudits de l'ordre Kinkou tenta une fois de convaincre  Arēn de retourner à eux, afin de perfectionner son art brumeux.  Arēn refusa catégoriquement de s'approcher de la Brume Noire,  il accepta pourtant de revenir s'entrainer parmi les siens de temps à autre.
Mais ne lui parlez pas de combattre quoi que ce soit, les cauchemars persistaient des années plus tard. Il n'était qu'un simple berger.

Si les autorités ne cherchaient que peu l'origine de cette petite drogue, un autre groupe avait une piste.
Depuis quelques temps, ils étaient intéressés par  Arēn, par sa magie. Quand ils apprirent pour l'arrivée de la Brume au marché noir, ils voulurent demander au Berger des renseignements, pensant qu'il s'agissait de deux magies similaires, et donc de deux personnes distincts. Or, en arrivant au monastère Ionien, les Sentinelles apprirent pour la disparition de notre héros. Ils commencèrent à enquêter et mirent plusieurs mois à le trouver.
Il gisait là, raide mort, au milieu d'une salle de torture ; le mage à ses côtés paniquait. Une balle entre les deux yeux. Le tireur était armé de l'Expiateur, une ancienne arme relique possédant une magie interdite, les personnes tuées par la victime de la Relique reviendraient à la vie. Ce fut le cas pour Aren qui, après quelques jours de l'autre côté, revint.
Les pierres Reliques des Sentinelles résonnèrent avec sa propre Brume, comme tissés de la même magie. Il comprit alors qu'il devait être leur Berger, à les guider et les protéger dans les ténèbres.