A peaceful place (Asta)

Sokkar était un homme intriguant à bien des égards. En lui ouvrant la porte ce soir-là, Asta n’aurait jamais imaginé que quelques temps plus tard elle l’accompagnerait volontairement pour une balade en ville. C’était Rafael qui lui avait transmit l’invitation tout en la rassurant. Si elle ne désirait pas s’y rendre, elle avait le droit de dire non. C’était cette possibilité de retrait qui avait poussé Asta a accepté. Cette idée qu’elle avait le choix, qu’elle n’était pas obligée à quoi que ce soit qui pourrait lui déplaire. Et puis Sokkar était intéressant. Il semblait que son esprit était empli d’histoires, réelles ou imaginaires, de visions du monde enchanteresses ou tout droit sortis de cauchemars… Asta se demandait quel âge il avait réellement. Poser la question aurait été impoli, elle s’était donc contentée de l’affirmation selon laquelle il était bien plus vieux que ce que son physique pouvait laisser croire. Mais en ce monde, ce n’était pas une rareté. Savoir qu’il n’était pas humain suffisait à la jeune fille.

A l’heure convenue, la sonnette retentit en écho dans la vaste demeure. Asta se redressa, quittant le livre de théorie mathématique appliqué aux arts pour rejoindre la porte d’entrée. Derrière le panneau, Sokkar l’attendait comme promis. Elle hocha simplement la tête en réponse et attrapa une veste légère qu’elle avait préparé en prévision de cette balade. Tout en l’enfilant, elle siffla un coup vif. En réponse à son appel, Mads apparut bientôt au bout du couloir et les rejoignit en trottinant. Elle accorda quelques caresses à son compagnon et le laissa sortir avec Sokkar avant de refermer la porte derrière elle. Elle n’attachait jamais Mads. Elle avait toute confiance en son ami. Elle ignorait si l’homme se souvenait de l’animal qu’il avait rencontré le soir de sa venue. Mads s’était montré farouchement protecteur envers Asta au début, sentant la méfiance et le déplaisir de la jeune fille de voir un intrus sous l’emprise de l’alcool envahir la demeure à des heures indues. Cependant, il s’était calmé en même temps que son amie et avait fini par se coucher aux pieds de la chaise de cette dernière, émettant un grognement sourd lorsque l’attitude de Sokkar lui déplaisait, comme un avertissement. Cependant, il n’était pas allé plus loin. Aujourd’hui il semblait ne pas vraiment prêter attention à l’homme, bien qu’Asta savait pertinemment que tout cela n’était que façade et que si Sokkar se révélait être une menace pour elle, il ne faudrait pas plus de quelques centièmes de secondes à Mads pour agir. Mais la jeune fille avait confiance et ce pour une raison simple : Rafael lui avait lui-même porté l’invitation de Sokkar. Elle savait qu’il ne l’aurait pas laissé en compagnie de quelqu’un à qui il n’accordait pas sa confiance.

Elle le suivait en silence, ses yeux dévorant les différents éléments qu’il lui pointait tandis qu’elle engrangeait les informations qui les accompagnaient. Elle n’était jamais allé à Bilgewater mais elle s’efforça de graver dans son esprit la forme du portail et le chemin qui y menait. Ils finirent par arriver dans un jardin et l’attention d’Asta décrocha des explications de Sokkar, enchantée par ce qu’elle avait devant elle. C’était une explosion de couleurs, mais aussi d’odeurs. La magie semblait baigner l’endroit. Elle s’avança doucement parmi les plantes, s’amusant à en reconnaître certaines qu’elle n’avait vu qu’enfermées dans des bocaux dans le laboratoire du Docteur. Elle se souvenait dans des flashs des informations disséminées par-ci par-là par ce dernier. Les voir en terre et resplendissantes était encore plus fascinant. Même dans ses hallucinations parfois enchanteresses, elle n’avait jamais rien vu d’aussi magnifique. Son attention se reporta finalement sur l’arbre près duquel se tenait Sokkar. Ses yeux s’agrandirent lorsque l’arbre réagit au toucher de l’homme, comme s’il semblait parcourut d’un frisson de joie. Ou comme s’il était chatouilleux et que les doigts qui l’effleuraient le faisait rire. La jeune femme s’approcha avec révérence de l’immense arbre, mais n’osa pas le toucher, se contentant de l’observer pendant de longues minutes.

Ils finirent par s’asseoir sur l’herbe. Quelques instants plus tard, Mads vint s’échouer près d’elle, sa tête se posant sur ses genoux. Elle le caressa distraitement en écoutant Sokkar. Une histoire ? Elle n’en connaissait pas vraiment… La dernière fois qu’elle avait raconté une histoire… C’était sans doute à Eirik. Le petit garçon adorait les histoires. Il s’émerveillait de tout. Sa gorge se noua, son poing se serra dans les poils de Mads, son cœur se déchirant sous le couteau acéré de la culpabilité. Cependant, elle n’en montra rien et après une inspiration, elle commença à raconter, l’esprit embrumé de visions d’un petit garçon aux cheveux roux et au sourire étincelant. « -Le paysage était blanc et silencieux, le manteau épais de la neige étouffant tous les sons. La région semblait comme endormie. Pourtant, il n’en était rien. Dans les contrées de Freljord, la vie ne s’arrêtait pas même lorsque les plus rudes tempêtes de neige se déchaînaient. Les habitants de cette froide contrée étaient de fiers guerriers habitués au froid. Pietr était né et avait grandi au cœur de Freljord dans l’une des régions où le froid était le plus rude. Il était le dernier né d’une grande fratrie et sa personnalité chaleureuse et solaire illuminait le cœur de ses proches. Sa mère l’appelait affectueusement sa petite flamme. ». Les mots maintes fois répétés des années plus tôt glissaient naturellement sur ses lèvres. Elle aimait cette histoire, mais surtout elle aimait les moments qui étaient rattachés. Des moments partagés avec Alice et plus tard avec Eirik. « -Pietr avait été envoyé couper des branches par sa sœur afin de fabriquer de nouvelles flèches pour les chasseurs de la tribu. Il n’aimait pas trop cela. Il préférait aller pêcher sur le lac gelé, mais on ne disait pas non à sa grande sœur. Après tout elle était pressentie pour être la prochaine cheffe de la tribu. Alors que Pietr était affairé à scier les branches d’un sapin, une lueur bleuté au pied de l’arbre attira son regard. Il se baissa avec curiosité. La lumière provenait d’une sortie de petite créature endormie. Elle n’était pas plus haute que trois pommes et avait de petites oreilles semblables à celles d’un yordle dénué de poils. Il ressemblait aux créatures mystiques que son père décrivait lorsqu’il évoquait les esprits de l’hiver. ». Sa voix se stoppa naturellement, comme en l’attente de l’habituelle exclamation enthousiaste d’Eirik "-Les mêmes que dans l’histoire préférée de Maman !". Mais seul le silence résonna. Asta sentit le nœud dans sa gorge se faire plus serré encore. Elle déclara d’une voix froide et inflexible « -C’est bon, ça suffit. ».